Préface

 

Philanthropie et gestion de patrimoine, existe-t-il deux concepts plus antinomiques ? Tandis que l’un, reposant sur la générosité, interpelle l’hémisphère gauche du cerveau ; l’autre parle au droit, à la rationalité.
Le second a pour ressorts l’optimisation, la capitalisation, l’augmentation de valeur, dans une démarche personnelle, voire égoïste ; tandis que le premier propose la démarche diamétralement opposée : il tend à s’appauvrir au profit d’autrui, d’une oeuvre et du plus grand nombre, à se situer dans une démarche altruiste.

Le travail de Marion Saint-Mars et Loïc Ronzani a pour premier mérite de réconcilier ces deux composantes pour les faire dialoguer.
Dans notre pratique, nous avions déjà constaté la coexistence de trois univers qui avaient besoin, pour différentes raisons, de se nourrir mutuellement :


- En premier lieu, des organismes, fondations, associations qui oeuvrent sans poursuivre de but lucratif et qui ont naturellement besoin de fonds pour satisfaire leurs missions.

 Certaines sont parfaitement organisées pour percevoir le fruit de la générosité au moyen de milliers de dons de quelques dizaines d’euros par an mais seront techniquement embarrassées lorsqu’il s’agira de recevoir une donation significative mais complexe, portant par exemple sur l’usufruit temporaire d’un portefeuille de valeurs mobilières ou opérée par le vecteur d’un fonds de dotation constitué spécialement à cet effet par le donateur.


- En second lieu, une génération nouvelle de philanthropes.
Certaines familles transmettent entre les générations, de manière dynastique, la nécessité sociale d’oeuvrer. Aux cotés de ces mécènes historiques figurent désormais de nouveaux philanthropes. Le point de départ se situe souvent pour eux dès la constitution de leur allocation d’actif. Dans la définition de leurs choix d’investissement, ces entrepreneurs allouent déjà une partie de leur fortune dans ce que les financiers qualifient de « love money », la petite entreprise coup de coeur dont on n’attend aucune plus value mais que l’on souhaite accompagner parce que l’objet social poursuivi ou le dirigeant séduisent. Il s’agit fréquemment du premier pas vers une démarche de mécène privé. Ensuite, ce qui guide les mécènes, nouvelle génération ou traditionnels, c’est la conscience d’un rôle ou d’une mission sociale à jouer, puis la volonté d’être utile à ceux qui auront eu moins de succès ou de chance qu’eux ou de soutenir une action de laquelle ils se sentent affectivement, intellectuellement ou par passion proches. Un autre élément impulse encore le geste philanthropique, celui de l’utilité de l’impôt.

 

L’accompagnement fiscal, s’il n’est pas prépondérant dans la décision, y participe à n’en pas douter. Toutefois, ce qui importe c’est davantage le désir de donner du sens à l’impôt payé, au fond de savoir ce qu’il va directement financer.


- Enfin, un environnement juridique et fiscal facilitant et propice.
Le législateur a en quelques années revisité en profondeur le système d’accompagnement fiscal de la générosité privée. Des réductions d’impôts significatives sur les revenus ou sur la fortune ont été fort opportunément créées ; les donations temporaires d’usufruit ont été encadrées afin d’être utilisées sans risques de remise en cause… Sous l’angle juridique, l’innovation majeure provient sans conteste de la création en France des fonds de dotation permettant très aisément et presque pour le plus grand nombre de constituer son instrument patrimonial de mécénat privé. Les conditions juridiques d’acceptation des donations par les fondations ont aussi été simplifiées.


Les avantages fiscaux octroyés, permettant de drainer des capitaux privés palliatifs, étaient salutaires car la structure du budget de l’Etat et l’importance des déficits publics laissaient présager une contraction forte de l’aide publique.
Sont donc désormais réunies toutes les conditions de l’émergence de nouvelles figures de la philanthropie privée. Souhaitons que la conjonction de ces trois facteurs favorise un mécénat privé à la française aussi significatif en termes de capitaux exprimés et donc d’enjeux économiques et sociaux que celui existant outre-Atlantique.

 

L’ouvrage de Marion Saint-Mars et Loïc Ronzani tombe donc à point nommé.
Toutes les questions actuelles sont passées en revue :


- des analyses comparatives internationales sur les enjeux de la philanthropie très instructives, aux possibilités de donner ses plans de stock-options à une fondation ;


- des comparatifs précis entre les différentes structures de mécénat (association, fondation, fonds de dotation), aux techniques juridiques permettant de sécuriser la fondation-donataire en présence d’enfants du donateur par l’intermédiaire de la Renonciation Anticipée à l’Action en Réduction,


- ou encore, du commodat comme moyen d’aider une association ou une fondation lorsque que l’on ne peut ou ne souhaite s’appauvrir, à la fameuse donation d’usufruit temporaire dont les effets vertueux se font ressentir tant pour le mécène donateur que pour la fondation donataire.


Voici donc la boite à outils du spécialiste de l’ingénierie patrimoniale ouverte et le mode d’emploi de chacun d’eux livré pour satisfaire une véritable stratégie patrimoniale de mécénat privé. Notons d’ailleurs avec satisfaction que nombre de ces nouveaux instruments proviennent de la Loi portant réforme des successions et libéralités du 23 juin 2006 et que la pratique se saisit au quotidien des innovations qui en sont issues pour satisfaire les plus nobles causes.
C’est donc sans aucune réserve que nous invitons le lecteur à la découverte de cet ouvrage passionnant en ajoutant qu’il est heureux qu’il ait été rédigé.


Fabrice LUZU
Notaire à Paris
Membre du comité d’orientation stratégique de la Fondation pour la Recherche Médicale

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