2.3. La structuration fiscale de l’OBO

Le dernier levier dans une opération de LBO est le levier fiscal. Comme nous l’avons vu précédemment, celui-ci joue pleinement lorsqu’il est possible d’imputer l’intégralité des charges financières liées à la dette d’acquisition sur le résultat bénéficiaire de la cible. Ainsi, l’économie d’IS (taux en vigueur 33,33%) générée par la déductibilité de ces intérêts réduit d’un tiers le coût de la dette.


Pour optimiser le levier fiscal dans une opération d’OBO, nous devrons poursuivre deux objectifs :

 

  • La libre circulation des dividendes entre la cible et la holding car ce sont eux qui vont permettre de rembourser la dette d’acquisition.
  • La compensation entre les résultats bénéficiaires de la cible et déficitaires de la holding afin de maximiser l’économie d’IS.

2.3.1. Exonération de la remontée des dividendes

L’objectif poursuivi ici consiste à éviter la double imposition des résultats de la société d’exploitation. En effet, ceux-ci pourraient être taxés une première fois au niveau de la cible puis une deuxième fois au niveau de la holding en cas de distribution de dividendes.


Pour éviter ce double frottement fiscal qui retirerait une grande partie de leur intérêt économique aux opérations d’OBO, la holding et la cible pourront opter pour le régime fiscal des sociétés « mères filles ».


Pour cela la holding (la mère) devra remplir trois conditions :

 

  • Etre imposée à l’impôt sur les sociétés (IS).
  • Détenir plus de 5% des titres de sa « fille ».
  • Prendre l’engagement de conserver les titres de la fille pendant au moins deux ans.


Ainsi, dans le cadre du régime « mère fille », les dividendes versés de la fille vers la mère ne seront taxés qu’à hauteur de 1,67% (seule une quote-part de frais et charges fixée à 5% du montant des dividendes fera l’objet d’une taxation au taux d’IS).

2.3.2. Intégration fiscale inopérante par l’amendement Charasse

Comme nous l’avons évoqué précédemment (cf. 1.2.2.3), la solution la plus efficace pour optimiser le levier fiscal est d’opter pour le régime de l’intégration fiscale.


Pour cela, les conditions suivantes doivent être respectées :

 

  • La holding doit être une société Française à l’IS dans les conditions de droit commun, elle doit détenir au moins 95% de la cible et ne doit pas être détenue à plus de 95% par une autre personne morale Française soumise à l’IS.
  • La cible doit être une société Française soumise à l’IS en France.
  • La notification de l’option pour ce régime doit avoir lieu dans les 3 premiers mois de l’exercice d’application.


L’application de ce régime réunit tous les avantages recherchés :

 

  • La consolidation des résultats entre la holding et la cible et le traitement de l’ensemble comme une seule entité fiscale.
  • Le versement des dividendes de la cible vers la holding en totale franchise d’impôt.


Cependant, l’article 223 B al.7 du CGI plus connu sous le nom d’amendement Charasse, vient fortement contrarier l’application du régime de l’intégration fiscale et de ce fait l’activation du levier fiscal. Cette mesure adoptée en 1987 a pour objet d’éviter le recours à l’intégration fiscale dans le cadre d’une « vente à soi même » afin de ne pas faire supporter à la collectivité une partie des frais financiers liés une opération qui a avant tout un intérêt patrimonial pour le chef d’entreprise (25).


Ainsi, l’article 223 B al.7 du CGI s’appliquera pleinement « lorsqu’une société a acheté les titres d’une société qui devient membre du même groupe aux personnes qui la contrôlent, directement ou indirectement, ou à des sociétés que ces personnes contrôlent, directement ou indirectement ».


La notion de contrôle s’entend au sens des conditions énoncées par l’article 233-3 du Code du Commerce qui stipule que « le contrôle d’une entreprise est avérée si une personne dispose d’une fraction des droits de vote supérieure à 40%, et ce, si aucun autre actionnaire ne détient une fraction supérieure ». Toutefois, au delà de cette donnée chiffrée du Code du Commerce, l’administration fiscale appréciera d’autres éléments pour prouver le « contrôle de fait ». Elle regardera notamment les clauses attribuant au dirigeant un droit de veto sur les décisions prises en assemblée générale ou lui donnant la capacité de contrôler la nomination d’une majorité de membre de l’organe de direction. Elle pourra même tenter de prouver le contrôle conjoint de la société par plusieurs actionnaires agissant de concert (membres de la même famille par exemple).


Ainsi, la plupart des montages d’OBO entreront dans le champ d’application de l’amendement Charasse et ne pourront pas recourir à l’intégration fiscale. Dans le cas où le dirigeant tenterait néanmoins de bénéficier de ce régime, il s’exposerait selon l’article 223 B à « la réintégration des charges financières déduites par les sociétés membres du groupe au résultat d’ensemble de chaque exercice (…), pour une fraction égale au rapport du prix d’acquisition de ces titres à la somme du montant moyen des dettes ». Cette réintégration s’appliquerait pendant l’exercice d’acquisition des titres et les huit exercices suivants (26).


Le dirigeant devra donc choisir entre la renonciation au pouvoir de direction de son entreprise (ce qu’il ne fera presque jamais) ou la renonciation au schéma d’intégration fiscale. Nous devons donc analyser les alternatives possibles pour tenter de rétablir au mieux le levier fiscal.

2.3.3. Solutions alternatives à l’amendement Charasse

2.3.3.1. Fusion rapide

Comme évoqué au paragraphe 2.1.2.2, cette technique qui consiste à fusionner la holding et la cible entraîne la confusion des patrimoines entre les deux sociétés et permet d’obtenir au plan fiscal les mêmes résultats que l’intégration fiscale.


Néanmoins, outre un certain nombre de risques au plan juridique, elle présente également des risques au plan fiscal. En effet, l’administration fiscale indique qu’en application de la doctrine administrative exposée dans l'instruction du 3 août 2000 (BOI 4-I-2-00 § 17), qu’elle se réserve la possibilité de remettre en cause les opérations de fusion rapide, soit sur le fondement de l’acte anormal de gestion, soit sur le fondement de l’abus de droit, lorsque la fusion est effectuée dans un but exclusivement fiscal. Par ailleurs, si c’était le cas auparavant, depuis le 1er janvier 2006, la fusion absorption de la cible par la holding ne constitue plus une sortie du « groupe » au sens de l’amendement Charasse.


Ainsi, la fusion rapide ne permettra pas de rétablir le levier fiscal dans une opération d’OBO.

2.3.3.2. Transformation de la cible en SNC

La transformation de la forme juridique de la cible en SNC aura pour conséquence sa transparence fiscale. Ainsi, ce sont les associés de la SNC – en l’occurrence la holding – qui sera imposable sur les bénéfices de la cible. Cet artifice juridique permettra de rétablir tous les avantages de l’intégration fiscale à savoir la libre remontée des cash flows de la cible vers la holding et la compensation fiscale entre les bénéfices de la cible et les déficits de la holding.


Toutefois, outre les contraintes juridiques liées aux sociétés de personnes que nous avons déjà évoquées comme la responsabilité solidaire et indéfinie des associés, cette technique présente deux contraintes majeures :

 

  • L’opération entraînera l’imposition immédiate des bénéfices non distribués et des plus-values latentes éventuelles.
  • L’administration fiscale pourra invoquer l’abus de droit au motif d’une motivation exclusivement fiscale.


Pour toutes ces raisons, il semblerait que le recours à cette technique soit peu utilisé dans la pratique.

2.3.3.3. « Management fees » dans la holding

Cette technique repose sur la création d’une activité bénéficiaire au sein de la holding. Dans notre cas, celle-ci ne se limitera plus à la simple détention des titres et sera qualifiée d’holding « animatrice ». On note à ce stade que cette qualification présentera d’autres avantages pour le dirigeant notamment en matière d’exonération des titres détenus dans la holding au sens de l’ISF.


Ainsi, les produits imposables réalisés par la holding animatrice viendront s’imputer sur les frais financiers liés à la dette d’acquisition afin de rétablir le levier fiscal. Dans la pratique ce chiffre d’affaires réalisé par la holding correspond à ce que l’on appelle communément des « Management fees » regroupant des prestations de services diverses (management général, audit, comptabilité, frais juridiques…) ou des redevances (exploitation de brevets, de licences, de marques…).


Cependant, une fois de plus cette technique présente un certain nombre de risques :

 

  • Si les prestations de services ne sont pas conformes à l’intérêt social de la cible et/ou si le coût en est manifestement disproportionnée ou excessif, l’administration fiscale pourra dénoncer un acte anormal de gestion et procéder à la réintégration des intérêts précédemment déduits.
  • Si des actionnaires minoritaires sont présents, le recours à des conventions de management fees peut constituer un abus de majorité, voire un abus de bien social dans le cas d’une attribution au dirigeant d’une rémunération disproportionnée.


Ainsi, cette technique permettra de rétablir le levier fiscal dans les limites évoquées ci-dessus. Toutefois, dans le cadre d’un OBO sans minoritaires et avec un niveau de valorisation relativement faible, la facturation raisonnable de management fees permettra d’imputer une partie significative des frais financiers de la holding.


Conclusion :


Dans le cadre d’un OBO appliqué à une « petite » entreprise nous retiendrons donc un schéma fiscal simple que l’on peut résumer en deux points :

 

1. Option pour le régime « Mère Fille » afin de limiter le frottement fiscal sur la remontée des dividendes à 1,67%.

2. Facturation de « management fees » par la holding animatrice de reprise afin de rétablir au mieux le levier fiscal (i.e. sans risquer une requalification par l’administration fiscale).

 


25. Denis Andres – Cabinet Arsène – Amendement Charasse : Esprit es-tu toujours là ?

26. Loi de finance rectificative pour 2006.